Clara Egger, candidate d’Espoir RIC à l’élection présidentielle 2022, fonde sa campagne sur la mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC) en France. Natura Sciences l’a rencontrée pour comprendre en quoi le RIC serait un outil « surpuissant » pour accélérer l’adaptation au changement climatique, la transition écologique et mieux prendre en compte l’avis des citoyennes et citoyens.
Alors que le référendum d’initiative citoyenne (RIC) constituant est déjà une réalité dans onze pays, Clara Egger est candidate d’Espoir RIC à l’élection présidentielle 2022 pour le mettre en place en France. Professeure en relations internationales à l’université de Groningen (Pays-Bas), elle imagine un RIC constituant avec un seuil de 700.000 soutiens à atteindre. Quel RIC pourrait-on mettre en place en France ? En quoi ce RIC est-il réellement un outil incontournable pour accélérer l’action sur les enjeux écologiques et climatiques et pour mieux appréhender ces sujets ? Comment le RIC permet-il de mettre au jour l’action des lobbies ? Réponses avec Clara Egger, en texte et en vidéos.
Natura Sciences : Pour commencer, pouvez-vous nous présenter les contours de votre référendum d’initiative citoyenne?
Clara Egger : C’est une idée très très simple : le RIC ouvre la possibilité pour chaque citoyen de faire une proposition de loi. Le porteur de projet doit recueillir 700 000 signatures pour que sa proposition soit portée au débat dans la société, pendant quatre à six mois. La proposition est enfin soumise au référendum à l’ensemble des citoyens.
Ce seuil de 700.000 signatures se base sur la taille de la population française et les seuils qui fonctionnent dans d’autres pays pour éviter la multiplication des référendums, tout en ayant un seuil suffisamment bas pour que des propositions aient lieu. Si vous regardez les pétitions qui circulent aujourd’hui, il très très rare d’avoir 700.000 signatures.
Nous ciblons les propositions de loi constitutionnelles puisque la Constitution est le corpus de lois le plus important. Quand les citoyens peuvent écrire des propositions de lois constitutionnelles, ils peuvent toucher à tous les sujets. Ils ont vraiment en main les règles du jeu politique, mais aussi des décisions d’avenir comme la question environnementale ou le type de système économique qu’ils veulent à l’avenir. En matière environnementale, le RIC pourrait même potentiellement permettre à des citoyens français d’initier des propositions de traité international sur la question climatique.
Pourquoi le RIC n’est-il pas adopté en France, alors qu’il a montré son fonctionnement à l’étranger ?
Certains partis étaient très favorables au RIC révocatoire en 2017, mais le RIC constituant, c’est vraiment le tabou absolu. Pourquoi ? Parce que c’est celui qui permet aux citoyens de passer au-dessus de leurs élus. Avec le RIC constituant, vous pouvez changer les règles du jeu politique. Du jour au lendemain, vous pouvez décider que le cumul des mandats n’est plus possible. Vous pouvez changer la rémunération des élus. Mais en fait, ça inverse totalement le rapport de force !
Avec le RIC, on a des représentants qui enfin dans notre pays prendront en compte la diversité des avis, la diversité des points de vues, les sujets qui méritent d’être posés et les sujets jugés trop coûteux. Typiquement, la question climatique et environnementale, c’est le sujet qui est trop coûteux pour un politique, car il ne veut pas en assumer les coûts.
En quoi le RIC est-il réellement un outil incontournable pour traiter les enjeux de long terme?
Le RIC constituant a des effets extrêmement vertueux non seulement sur le fonctionnement des institutions politiques, sur les politiques économiques qui sont menées, sur les politiques environnementales, sur le traitement des grands enjeux de long terme. Aujourd’hui, on a des élus politiques qui ont un mandat de cinq ans. Leur visée c’est cinq ans. C’est ce qu’ils pourront faire en cinq ans, les gains qu’ils pourront avoir en cinq ans pour être réélus.
Or, les questions de type transition énergétique, les questions de type quel système économique voulons-nous, les questions de type la transition écologique, ce ne sont pas des questions qui se traitent sur cinq ans. Ce sont des questions qui nous engagent, citoyens, notre collectivité, sur des durées beaucoup plus longues. Donc quand on n’a pas le RIC, on est incapable de traiter ces enjeux en fait. On a des mesures qui ne sont pas au niveau des défis qui se posent aujourd’hui pour notre pays.
Le fait que les élus vivent avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, ce risque que s’ils ne prennent pas une mesure ou s’ils le font mal, les citoyens derrière vont détricoter leurs mesures, va faire aussi qu’on va avoir des responsables politiques qui vont se mouiller sur la question écologique, qui vont proposer des solutions qui correspondent plus aux attentes des citoyens sur ces sujets. Donc ce sera un accélérateur de transition écologique mais vraiment surpuissant le RIC, ça c’est clair et on l’observe dans les pays qui disposent de cet outil.
Sur les questions écologiques et climatiques notamment, en quoi le RIC serait-il un accélérateur d’action ?
La plupart des grandes avancées qu’on a eu sur les questions écologiques et environnementales dans les pays qui ont le RIC ont été faites par RIC. Je pense à la Suisse par exemple qui a engagé une politique de changement énergétique. On pouvait être pour ou contre, je ne sais pas si c’est la bonne décision qui a été prise, mais en tout cas la Suisse a fait un plan de sortie du nucléaire concerté, et a fait un plan de redynamisation de l’agriculture paysanne aussi par RIC.
La Californie a été l’un des premiers États américains à mettre en place la protection des espaces naturels au niveau des villes par RIC. Donc les citoyens ont contraint leurs élus à respecter la protection des espaces naturels, à limiter l’expansion des villes. Donc on a plein de mesures comme celle-là qui montrent que quand les citoyens décident, on avance sur ces sujets beaucoup plus que si on reste dans un système comme le nôtre.
Comment se protéger des lobbies en période de consultation citoyenne? Comment éviter qu’ils envahissent l’espace public avec des campagnes publicitaires ou envahissent les réseaux sociaux de trolls ?
Aujourd’hui, on a des responsables politiques qui font passer l’intérêt d’un certain nombre de groupes, de groupes économiques, de groupes électoraux sur ceux des autres. Alors vous savez les lobbys aujourd’hui ce qu’ils adorent, c’est le système comme le nôtre, c’est-à-dire où il y a un petit groupe de personnes qui concentre le pouvoir. Pourquoi ? Parce que c’est beaucoup moins embêtant d’aller convaincre un petit nombre de personnes que de devoir aller faire campagne pour convaincre tous les électeurs.
Sur la question de la transition énergétique, si on avait le RIC et si on avait une proposition de référendum sur une question autour du pétrole, on peut imaginer que Total prendrait position, financerait des campagnes. Maintenant, je vous pose la question : si Total vous dit « ne votez pas pour cette loi », vous allez faire quoi, à part voter pour cette loi ? Parce que vous savez que si Total n’est pas en accord avec cette loi, c’est peut-être que justement c’est une loi qui l’ennuie tellement que c’est ce qu’il faut soutenir. Et c’est ce qu’on observe dans tous les pays qui ont le RIC, les gens font des raccourcis de raisonnement de ce type.
Lire aussi : Des militants dénoncent le financement de Sciences Po par Total
Quand on a le RIC, les lobbys doivent faire campagne publiquement. C’est d’ailleurs pour ça que les gros lobbies, la démocratie directe, ça les ennuie. C’est trop de boulot. Il faut aller faire des grosses campagnes, perdre de l’argent à convaincre les gens alors que les gens sont plutôt convaincus de proche en proche avec des gens de confiance plutôt que par de grosses boutiques qui font des campagnes de la peur. Rien que le fait que le RIC contraigne les lobbies à sortir de l’ombre et à se positionner, cela leur donne un impact beaucoup moins fort sur la politique que l’impact qu’ils ont aujourd’hui.
Comment le RIC aide-t-il les citoyennes et citoyens à mieux appréhender des sujets techniques, comme la transition énergétique et la neutralité carbone ?
Le RIC c’est vraiment un dispositif qui donne tout son poids à l’expertise et à la diversité de l’expertise. Déjà, quand un citoyen fait une proposition de loi, il doit aller consulter des experts. Un monde où un citoyen se lève un matin, écrit sa proposition de loi, arrive à récolter 700.000 signatures, et parvient à la faire adopter par référendum, n’existe pas. Non, il faut aller voir des experts, des associations. Donc déjà le moment de rédaction de la proposition est un moment de consultation de l’expertise, où les experts doivent aller vers les citoyens.
Aujourd’hui les experts n’ont aucun intérêt à aller dans le débat public, pourquoi ? Parce que les citoyens ne décident pas. Si vous arrivez à convaincre les citoyens de la nécessité d’une mesure, que vont-ils faire après ? Manifester, faire des pétitions ? Pour rien puisqu’ils n’ont pas le pouvoir de décision. Donc le RIC décuple vraiment l’expertise et la diversifie. Il met en place des débats très larges, avec des experts au niveau local et au niveau national.
Le RIC introduit une décision sur le temps long. C’est pourquoi on prévoit des phases de débat de 4 à 6 mois. En Suisse dans une période de votation, voyez comment les enjeux soumis à votation sont discutés dans la rue, comment les associations de quartiers organisent des débats avec les experts du coin, comment vraiment ça décuple l’expertise. Et c’est ce qui explique d’ailleurs qu’un des effets très fort du RIC, c’est qu’il accroît plus que tout autre dispositif la compétence des citoyens, même sur les sujets techniques.
Le RIC peut-il être un bon outil pour pour les Français peut-être pour réconcilier les Français avec leurs citoyenneté?
Voter pour s’exprimer ? Pas trop. Voter pour décider ? Ah c’est autre chose. Je crois que cette campagne présidentielle a sonné le glas de notre système politique. On a une campagne électorale qui n’intéresse absolument personne, parce qu’elle traite de sujets dont en fait, on se fiche éperdument. On a de grosses questions aujourd’hui : qu’est-ce qui va se passer avec le post-covid économiquement ? Comment on va s’assurer que les 30 % des Français qui sont tombés dans la grande pauvreté vont s’en sortir ? Sur le plan éducatif, qu’est-ce qu’on va faire ? Sur le plan de la transition écologique, qu’est-ce qu’on va faire ? Et là silence radio, c’est la petite phrase, etc.
Moi personnellement voter ça me fait plus rêver, mais depuis très longtemps. Élire quelqu’un dont je sais que choisi le moins pire parce que je sais que de toute façon, il s’engage sur des trucs qu’il ne pourra pas faire parce que c’est la foire aux promesses… Par contre ce qu’on voit c’est que 75% des Françaises et des Français veulent le RIC. Ils veulent pouvoir écrire la loi directement. Ils veulent vraiment une plus grande démocratisation et jouer un rôle actif. Quand on a ce droit-là, on va voter en fait, surtout quand les sujets nous parlent. Ils vont voter parce qu’ils décident, c’est foncièrement différent que d’élire quelqu’un.
Propos recueillis par Matthieu Combe et Chaymaa Deb
Journaliste reporter d’images : Léo Sanmarty