En déplacement à Belfort ce jeudi 10 février, le président de la république a détaillé de nouvelles mesures qui renversent la stratégie énergétique des années précédentes. Natura Sciences résume les grandes lignes de son discours. Les prochaines décennies marqueront le déploiement des énergies renouvelables mais surtout le grand retour du nucléaire. Une nouvelle qui en ravit certains, et en insurge d’autres.
Sa voix résonne au sein du bâtiment de General Electric, à Belfort, ce jeudi 10 février après-midi. Devant un public composé d’ouvriers de l’usine, quelques membres politiques, le maire actuel de Belfort, Damien Meslot, et son prédécesseur Jean-Pierre Chevènement, Emmanuel Macron impose une série de mesures en lien avec la transition énergétique. Ce lieu n’est pas anodin, puisqu’EDF a récemment racheté les turbines de General Electric. Le président a par ailleurs confié la mission d’un déploiement énergétique à part entière au leader de l’électricité. Peut-être une sorte de consolation pour EDF suite à ses difficultés financières récentes.
En guise de fin de discours, le président opte pour une anaphore.« La France fait le choix du progrès (…). Elle fait le choix du climat (…) Elle fait le choix de l’emploi (…) Elle fait le choix du pouvoir d’achat (…) Elle fait le choix de son indépendance et de sa liberté ». Une attention particulièrement accentuée sur cette indépendance, puisque le président compte, en 30 ans, « faire de la France le premier grand pays du monde à sortir de la dépendance des énergies fossiles, et renforcer [son] indépendance énergétique industrielle ». Une ambition affirmée pour produire une énergie « décarbonée » au cours des prochaines décennies. Mais aussi pour revaloriser un savoir-faire français, en développant des filières industrielles et des milliers d’emplois. Toutefois, et il fallait s’y attendre, les mesures annoncées par Emmanuel Macron ravivent une nouvelle fois le débat sur les énergies renouvelables et le nucléaire.
Réduire la consommation d’énergie de 40% d’ici 2050
Le président veut « continuer de produire » tout en changeant de modèle. Sa stratégie pour le faire « plus vite et plus fort » passe d’abord par deux chantiers colossaux afin de « baisser de 40% [la] consommation d’énergie en 2050 ». Il annonce alors miser sur l’innovation. Afin d’inscrire la France parmi les régions qui produisent de l’hydrogène bas carbone, il faut alors « bâtir une grande filière hydrogène ». Pour favoriser le développement d’une telle filière industrielle, l’État promet d’accompagner chaque projet.
Puis, le deuxième chantier concerne la production d’électricité décarbonée. « Le monde de demain sera plus électrique », soutient Emmanuel Macron. En espérant sortir des énergies fossiles en 30 ans, le président de la République vise de porter la part de l’électricité dans la consommation totale d’énergie jusqu’à 60%, contre 25% aujourd’hui. Il cite pour cela la rénovation des logements, la décarbonation de l’appareil industriel et la continuité des véhicules électriques, avec l’adaptation du parc automobile. Une première planification sera mise en place au cours des prochains mois. Il s’agira de déterminer et fixer des objectifs pour accompagner au mieux les ménages et industries dans cette transition énergétique.
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Construire six nouveaux EPR et prolonger les réacteurs nucléaires
L’annonce était très attendue par les militants écologistes. Quelques années après ses premières défiances à l’encontre des centrales, Emmanuel Macron change de direction. « Il nous faut reprendre la grande aventure du nucléaire », a-t-il affirmé, tout en indiquant aux opposants que se passer du nucléaire « n’est pas sérieux ».
Une phrase qui a agacé les membres d’ONG, réticentes à ce grand retour. « C’est faux, proteste Zélie Victor, responsable Transition Energétique chez Réseau Action Climat. Emmanuel Macron se fait le porte-parole d’une industrie nucléaire déjà sur le déclin au lieu d’envisager les véritables solutions que sont les économies d’énergie ». Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement et aujourd’hui président de l’association Equilibre des énergies, se réjouit quant à lui de ce retour. « On aurait dû retourner au nucléaire il y a déjà dix ans, insiste-il. L’avantage des centrales est qu’elles sont pilotables et qu’elles ne dépendant pas de la météo, contrairement au renouvelable ».
Le président de la République a alors annoncé la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires – et huit à l’étude – d’ici 2040. La fin du premier chantier est prévue pour 2028, pour une première mise en exploitation en 2035. Emmanuel Macron a également ordonné la prolongation de « tous les réacteurs qui peuvent l’être », tout en soulignant qu’aucune centrale ne sera fermée, sauf si raison de sécurité. « Nous disposons d’un conducteur de sécurité inégalé », s’est exprimé fièrement le président de la République. L’opposition politique et les anti-nucléaires évoquent un « pari dangereux », en termes de sécurité et d’accumulation des déchets.
Les ONG Greenpeace et le Réseau Action Climat déplorent ainsi un « fiasco écologique », alors que le projet Flamanville a entamé sa quinzième année de retard. « S’engager sur la construction de 6, voire 14 EPR à deux mois de l’élection présidentielle est totalement insensé, a réagi Greenpeace dans un communiqué. Ces premiers réacteurs, s’ils sont un jour construits, ne rentreront pas en service avant 2040 au mieux, avec un coût exorbitant ».
De son côté, le Groupement des Industriels Français de l’Energie Nucléaire (GIFEN) salue les annonces du président de la République. « Ces annonces sont historiques. En donnant de la visibilité aux acteurs de la filière, le lancement de ce programme d’une ampleur inégalée va permettre d’enclencher une dynamique d’industrialisation forte, pourvoyeuse de croissance économique à long terme, tout en stimulant l’innovation et l’emploi », s’est exprimé Xavier Ursat, Président du GIFEN.
Développer massivement les énergies renouvelables
« Nous partons de loin, admet Emmanuel Macron, en reconnaissant un retard dans le développement des énergies renouvelables. Nous n’avons pas su convaincre tous les projets et utiliser les bonnes méthodes pour surmonter la réticence ». Elles-aussi objet de nombreuses discordes dans la classe politique, les énergies renouvelables restent pourtant, selon la dernière étude de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), « les principaux éléments » pour produire un système électrique décarboné et atteindre la neutralité carbone pour 2050.
L’effort sera particulièrement accentué sur le solaire, en multipliant sa puissance pour atteindre 100 gigawatts. . En complément, le gouvernement souhaite déployer massivement les éoliennes terrestres et marines et adopter une stratégie de stockage d’électricité.
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Favoriser le déploiement d’éoliennes malgré les controverses
Les éoliennes ont fait l’objet d’une attention particulière, notamment en milieu maritime. Emmanuel Macron a annoncé, pour 2050, la construction d’une cinquantaine de parcs éoliens en mer, représentant plus de 40 gigawatts en service. Le premier chantier serait effectué dès cet été au large de Saint-Nazaire. « Là aussi, nous avons commencé à recréer une filière industrielle française », se félicite Emmanuel Macron, en citant les usines du Havre, de Cherbourg et de Saint-Nazaire pour déployer tout l’équipement nécessaire à ces prochaines installations. Le président a alors annoncé, là-aussi, « une planification maritime du développement des parcs », sans ignorer la controverse entourant les éoliennes offshore. « Il nous faut prendre en compte toutes les parties prenantes,[tels que] les sujets paysagers, l’intérêt des pécheurs, les questions de biodiversité », rappelle Emmanuel Macron. Ces enjeux ont fait l’objet d’ultimes discussions à l’occasion du sommet One Ocean Summit à Brest ce vendredi 11 janvier.
Quant au secteur terrestre, pas question de céder aux anti-éoliennes. « Il est possible de concilier développement de l’éolien avec la protection de nos paysages, de notre patrimoine naturel et culturel », a certifié Emmanuel Macron en souhaitant « apaiser les débats ». Et bien que ces installations soient attendues par les ONG environnementales, celles-ci insistent sur le retard de la France. « Quel crédit accorder aux paroles du président ? La France est le seul pays d’Europe à ne pas remplir ses propres objectifs en matière de développement des énergies renouvelables« , a commenté Nicolas Nace, chargé de campagne transition énergétique à Greenpeace France. Toutefois, ce retard est assumé par Emmanuel Macron. En rappelant que la France est « beaucoup moins » dotée d’éoliennes terrestres que ses voisins européens, le président souhaite rester raisonnable dans les objectifs. Il sera alors question de doubler les 18,5 gigawatts actuellement en service d’ici à 2050. « Ce qui était fixé à horizon 2030, nous allons l’étaler dans le temps et garder un cap », a prévenu le président. Les nouvelles installations annoncées concerneront des éoliennes « plus puissantes » que la majorité déjà installée en territoires ruraux. Le tout pour 1 milliard d’euros consacrée à l’innovation sur le renouvelable.